SEPARATION PARENTALE : PAPA OU T’ES ? par Maître François BOUCHER
J’ai récemment relayé sur les réseaux sociaux un jugement, prononcé par le Juge aux Affaires Familiales de PARIS le 27 janvier 2016, qui rappelait qu’en droit de la famille l’égalité entre hommes et femmes doit être respectée…
Si cela peut sembler une évidence, la réalité judiciaire semble encore bien différente…
INEGALITE PERE-MERE ? LA REALITE DES CHIFFRES…
Un rapport déposé en 2013 par le Ministère de la Justice mettait clairement en évidence le déséquilibre père-mère après la séparation (ce rapport résultait de l’analyse détaillée de 6.042 décisions judiciaires définitives, prononcées entre le 4 et le 15 juin 2012, concernant 9.399 enfants) :
- la résidence chez la mère a été
prononcée dans 71 % des décisions
- la résidence en alternance dans 17 % des cas
- et la résidence chez le père dans 12 % seulement…
Le détail des résultats confirme la primauté donnée à la mère puisque le rapport « résidence chez le père/chez la mère » est sensiblement égal lorsque les parents sont en désaccord sur le mode de résidence de leurs enfants ou lorsqu’ils ont trouvé un accord sur cette question (résidence fixée chez la mère dans 62 % à 71 % des cas).
Lorsque père et mère demandaient concurremment la fixation de la résidence des enfants à leur domicile, celle-ci a été fixée chez la mère dans 62 % des cas contre 36 % chez le père (2 % de résidence alternée).
Lorsque le père proposait une résidence alternée, alors que la mère demandait la résidence chez elle, le Juge a prononcé une résidence chez la mère dans 75% des cas…
En résumé, après la séparation, la résidence des enfants est encore très largement fixée auprès de leur mère.
PRIMAUTE DE LA MERE : UNE REALITE COMMUNEMENT ADMISE ?
A mon sens, ces chiffres attestent que les décisions de justice sont encore largement empreintes d’une conception classique, voire conservatrice, du couple et du modèle parental, dans lequel la mère s’occupe des enfants tandis que le père travaille pour subvenir aux besoins financiers de la famille…
Ce serait toutefois une erreur de rendre les magistrats seuls responsables de cette situation puisque les accords soumis par les Avocats à l’homologation du Juge comportent le même déséquilibre.
Il ne saurait être ignoré que les pères, imprégnés et conditionnés par cette conception classique du couple, renoncent souvent à demander la résidence de leur(s) enfant(s) convaincus qu’ils ne l’obtiendront pas… (Ce n’est évidemment pas une généralité : certains pères ne demandent pas la résidence des enfants, ni même une résidence alternée, tout simplement parce qu’ils ne la souhaitent pas !).
Dans ce déséquilibre père-mère après la séparation parentale, je pense que l’influence du jugement social porte une grande part de responsabilité : si une mère n’a pas la résidence de ses enfants (au moins une résidence alternée), elle apparaît généralement comme suspecte aux yeux des autres… Pour un homme, il n’y a rien de choquant…
Or, si ce modèle classique du couple correspondait à une réalité difficilement contestable il y a quelques décennies, force est d’admettre que la société a (heureusement !) évolué.
En effet, avec la consécration de la résidence alternée dans le Code civil, le mariage homosexuel, l’adoption par des couples homosexuels, … le droit de la famille est en pleine mutation. Les notions de couple et de famille évoluent, ainsi que les mentalités.
Lentement mais sûrement…
BALANCE AFFECTIVE DE L’ENFANT : UN PAPA POUR GARDER L’EQUILIBRE
Au-delà de la résidence des enfants majoritairement fixée chez la mère, la place du père à travers les droits de visite et d’hébergement reste en outre limitée puisque le classique (et absurde…) « un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires » a la vie dure :
- Ainsi, lorsque les parents choisissent de fixer la résidence au domicile de l’un des parents, le droit de visite classique est retenu dans près de 60 % des situations.
Triste constat pour la place du père auprès de l’enfant lorsqu’on rappelle qu’ « un week-end sur deux » représente un temps effectif de … 4 à 6 jours par mois !!! Soit 12 jours consécutifs sans visite…
Or, la présence effective des deux parents est indispensable à l’équilibre d’un enfant.
Cet intervalle beaucoup trop long est catastrophique pour le maintien (ou la construction) du lien père-enfant dès lors qu’un enfant a une perception du temps très différente de celle d’un adulte. Plus un enfant est jeune et plus le temps est long pour lui (et plus on vieillit et plus le temps passe vite…).
Certains pédopsychologues considèrent qu’un jour pour un enfant d’1 an, dans son expérience subjective du temps, serait aussi long qu’un mois pour ses parents de 30 ans. Ainsi, une séparation de 12 jours (un week-end sur deux…) représenterait l’équivalent d’un an pour l’enfant !
Ainsi, un enfant ne devrait pas être séparé d’un de ses parents de plus de jours qu’il a d’années d’âge (soit un jour pour un enfant âgé d’un an, deux jours pour un enfant de deux ans etc…).
Dire qu’un enfant a besoin de voir son père plus souvent que 4 jours sur 30 ne veut toutefois pas forcément dire qu’il faudrait systématiser l’équilibre parfait dans le cadre d’une résidence alternée (gare au syndrome de Salomon !).
Chaque situation doit en effet être regardée spécifiquement en respectant la sensibilité de chacun.
NOTRE TRAVAIL D’AVOCAT : APPRENDRE A PENSER AUTREMENT POUR CHANGER LES HABITUDES
Il nous appartient à nous, avocats, de proposer, d’imaginer des solutions pour que le droit de la famille ne soit pas un droit routinier, sclérosé dans ses habitudes.
Nous devons accompagner nos clients dans la recherche de solutions adaptées à chaque situation, en respectant la place des deux parents auprès de l’enfant et l’intérêt de ce dernier.
En matière d’organisation de la vie de l’enfant, le champ des possibles est infini !
Par exemple, un droit de visite et d’hébergement peut s’exercer une fin de semaine sur deux depuis le mercredi ou le jeudi jusqu’au dimanche ou au lundi, en ajoutant tous les mercredis ou un mercredi sur deux, une ou deux soirées dans la semaine avec ou sans la nuit, un ou plusieurs repas en commun durant la semaine, une semaine complète durant le mois, la totalité des samedis ou des dimanches…
En matière de résidence alternée : les résidences alternées prononcées dans le cadre d’un accord parental sont assorties d’un rythme hebdomadaire pour 86 % des enfants soit une semaine sur deux avec transfert généralement le vendredi soir ou le dimanche soir…
Or, là encore, la résidence alternée peut prendre de nombreuses formes différentes selon l’âge de l’enfant (exemples sur des périodes de 14 jours, du lundi au dimanche, où X sont les jours chez le père et Y les jours chez la mère) :
- XX YY XXXXX YYYYY
- XXYXXXX YYXYYYY
- XXYYYXX YYXXXYY
- XX Y YY XX XX X YY YY
- XXXYYYY YYY XXXX
- …
Ainsi, il existe d’innombrables possibilités pour tenir compte de l’âge des enfants, de contraintes professionnelles et d’autres paramètres, tout en augmentant de manière importante la présence du père auprès des enfants.
Il s’agit d’un vrai travail de défense.
Ensemble soyons créatifs !!