Le harcèlement moral au travail, c’est quoi ? par Maître François BOUCHER
Le harcèlement moral au travail, c’est quoi ?
Par Maître Fabien STUCKLE, avocat à BESANCON (SCP CODA)
et M. Clément DIDIER, étudiant UFR SJEPG Besançon
Rappelons-nous : l’an 2000 était imaginé par beaucoup comme une ère de la modernité et du progrès, d’aucuns imaginant voir dans les villes des voitures volantes et l’utilisation par tous de robots qui faciliteraient un quotidien fastidieux.
D’autres craignaient l’avènement de cataclysmes et de bugs informatiques en tous genres.
Finalement, l’an 2000 est survenu, dans la lignée des années précédentes à de nombreux égards.
La question des risques psychosociaux n’y a pas fait exception : un sondage IPSOS de cette année nous apprenait ainsi que 30 % des salariés français déclaraient subir un harcèlement moral au travail, chiffre particulièrement édifiant.
22 ans plus tard, le sujet n’a malheureusement rien perdu de son actualité ni de son importance.
Terme galvaudé ou au contraire à investir : si l’on prenait (vraiment) le temps de l’interroger ?
Le site www.service-public.fr donne la définition suivante :
« Le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés pouvant entraîner, pour la personne qui les subit, une dégradation de ses conditions de travail pouvant aboutir à une atteinte à ses droits et à sa dignité, ou une altération de sa santé physique ou mentale, ou encore une menace pour son évolution professionnelle.
L’article L 1152-1 du code du travail énonce quant à lui que :
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Le droit du travail français protège les victimes de harcèlement moral, qu’elles soient salarié, stagiaire ou apprenti. Les normes se sont accumulées et les règles ont permis de mieux cerner le sujet.
Mais il reste bien difficile d’appréhender précisément ce que recouvre la réalité de comportements de harcèlement moral au travail tant leur matérialité, c’est-à-dire les actes concrets qui le caractérisent, sont polymorphes. Quand les uns seront harcelés par l’effet d’une charge trop importante de travail (dénommée burn out), d’autres le seront en raison d’une absence de travail organisée délibérément par l’employeur (c’est le bore out).
Ces manifestations ne sont que quelques-unes des pratiques rencontrées en entreprise et elles n’ont de limites que l’imagination perverse et malveillante des harceleurs :
- Injonctions contradictoires : c’est-à-dire le fait de donner un ordre puis son contraire,
- mise en scène de la disparition : qui consiste peu à peu à retirer les prérogatives du salarié, de manière ostensible et visible des collègues de travail,
- campagne de sape,
- mise au placard,
- isolement,
- brimades, reproches, cynismes, menaces en public,
- retrait des outils de travail,
- discrimination salariale,
- suppressions d’avantages, de primes,
- disparition de l’organigramme de la société,
- changement de bureau,
Le harcèlement moral est une notion « anguille » en ce sens qu’elle est bien difficile à saisir car elle nécessite :
- de bien appréhender les actes de harcèlement,
- de faire l’effort d’une démarche empathique, seule posture permettant de tenter de comprendre les conséquences sur la personne même du salarié et de la femme ou de l’homme qu’elle/il est.
Deux salariés placés dans la même situation peuvent, de toute évidence, vivre une même scène de manière différente selon leur résilience, leur vécu traumatique en entreprise, leur personnalité, leur étayage familial, etc.
Si le diable se cache dans les détails, le harcèlement le fait dans les mots prononcés, comme des couperets qui lacèrent l’estime de soi et l’image du salarié en tant que telles.
Un simple « bonjour » peut être un outil de harcèlement, selon l’utilisation qui en est faite, la manière dont il est prononcé et les sens qu’il prend et en dépit de son caractère apparent de bienséance.
Chercher à comprendre le harcèlement moral, c’est se demander ce qui peut être justement autorisé ou non dans les rapports inter-particuliers ou entre groupe et individu en entreprise.
C’est se demander, aussi : « comment j’aurais pu vivre, moi, cette situation ? ».
C’est se demander : « comment j’aurais pu y faire face ? ».
C’est, surtout, se demander comment éviter ses situations qui créent tant de souffrance.
Le système normatif français impose à l’employeur de lutter contre toutes les formes de harcèlement. Il est responsable envers tous ses salariés et peut être condamné, parfois lourdement, en cas de manquement. Mais la tâche peut s’avérer difficile, notamment dans les structures de taille importante.
Le combat contre le harcèlement moral doit être l’affaire de tous et de chacun. Seules :
- une réflexion sincère sur le sujet,
- la convergence de toutes les bonnes volontés, employeur, salariés, collègues de travail, médecins et infirmiers du travail, psychologues du travail, psychiatres, Comité économique et social, syndicats, etc,
- une pédagogie adaptée,
permettront d’obtenir des avancées notables sur le sujet.
Car le chemin de la reconnaissance de ces actes est long et douloureux. Il est indispensable de l’écourter et de le faciliter.
Ces quelques lignes sont posées avec une seule prétention, celle d’inviter au questionnement.
Alors, pour vous, le harcèlement moral, c’est quoi ?